Triton : l'envers du décor

C'est indéniable, Triton est un facteur de sympathie auprès des gens que nous croisons. Il facilite souvent la discussion et l'échange lors d'un premier contact. Une fois, nous avons acheté des petits fromages au lait de brebis. La charmante dame nous en a offert un pour nous (deux organismes de 120 kg à deux)... Et un pour Triton (5 kg). "Deux fromages, deux mesures" comme le dit l'expression... Nous mettons souvent en avant les côtés positifs de voyager avec lui mais peu les côtés négatifs... Alors pour une fois, allons-y, bavons allégrement sur son dos !


Alors que Micka voyage avec 6 kg de bagages, il faut rajouter 1 à 2 kg de croquettes plus 5 kg de chien lorsque monsieur ne court plus (2/3 du temps). 


La honte en public, nous connaissons grâce à lui ! Parfois il part comme une furie en aboyant vers des inconnus, ce que nous réprimons toujours... mais il est (presque) toujours accueilli par des "oh qu'il est mignon le toutou, viens faire un câlin". Il est mignon... C'est bien ça le problème. Un jour nous avons croisé une mamie qui avait l'air de nous accuser de l'affamer... Oui, Triton est moins lourd que certains chats et il a gardé sa corpulence de chien de la rue bolivien malgré une nutrition à volonté !


La honte chez de généreux hébergeurs, nous connaissons grâce à lui. Juste un exemple, c'était en bord de Dordogne chez Jonas et Annabelle qui nous accueillent gentiment. Comme ils ne sont pas là, nous nous installons tranquillement chez eux. Dans la tête de Triton, à partir du moment où tu es installé, c'est chez lui. Jonas arrive de nuit avec ses deux chiens (qui font 10 fois sa taille) qui sont accueillis par les aboiements intempestifs de Triton : "hey les gars, vous n'êtes pas chez vous là ! Ah bah si en fait..." [queue entre les jambes]. Durant la nuit, Triton était dehors (comme 100% des nuits que nous avons passées) mais les deux chiens de Jonas et d'Annabelle dormaient dedans. Quelle injustice ! Monsieur Triton a pleuré toute la nuit...


L'alarme nocturne à toute heure, nous connaissons grâce à lui. Planter sa tente à côté d'une église qui sonne même la nuit et tous les quarts d'heure (expérience vécue), c'est de la rigolade à côté. En effet, monsieur Triton est à l'affût de tout se qui bouge autour de la tente.

Le vomis, nous connaissons grâce à lui. C'était en kayak. Alors que nous décampons, Triton va faire un tour. Pas de Triton pendant une bonne demi heure puis il revient tranquillement alors que nous nous apprêtons à mettre le kayak à l'eau. Une demi heure plus tard Triton vomit sur le bateau, faisant un strike magnifique sur nos trois sacs ! Rebelote un peu plus tard... On s'aperçoit vite que ses régurgitations se solidifient sur les sacs et le kayak : il s'agit de graisse quasi pure (de canard ?) avec des asticots qu'il a probablement engloutie à l'arrière d'un restaurant.


La peur, nous connaissons grâce à lui. C'était dans les volcans du Sancy. Nous devons rentrer dans un champ de vaches séparées de leurs veaux qui se trouvent avec nous. Pas simple d'ouvrir un barbelé alors que plusieurs vaches nous font face pour s'engouffrer dans la brèche retrouver leurs petits. Triton, alors dans sa caisse, décide tout à coup de sauter par terre et de brancher toutes les vaches ! 20 secondes plus tard : [queue entre les jambes et revenant vers nous] "sauvez-moi de ces méchantes bêtes et mettez-moi dans ma caisse". 

L'attente, nous connaissons grâce à lui. Lorsque Triton voit un animal (le plus souvent en forêt), il perd totalement la raison... Et le chemin pour revenir ! Nous l'avons souvent attendu, presque tous les jours à vélo, en moyenne 5 à 10 min seulement, mais parfois plus... Voici le récit rocambolesque du sauvetage de Triton dans les gorges du Tarn qui a duré 2 h 30 environ. C'est long à lire... Accrochez-vous !


Jeudi 27 septembre 2018 (écrit par Micka)
Nous attendons avec impatience que le soleil inonde notre fabuleux bivouac. Nous mangeons dans l’ombre puis commençons à faire nos affaires quand le soleil fait son apparition : quel bonheur ! Nous continuons notre folle descente vers Saint Chély du Tarn à flanc de falaise sur un chemin caillouteux. Il est environ 9h30, nous roulons depuis à peine dix minutes et nous nous arrêtons pour remettre une sangle mal serrée. Triton part devant comme bien souvent. Nous l’appelons et le sifflons mais il ne revient pas. Nous continuons notre descente mais quelques secondes après avoir enfourché notre vélo nous entendons Triton aboyer. Nous commençons à bien le cerner : il est parti chasser le gibier ! Dans ces moments-là Triton est comme un fou, impossible de le raisonner et de le rappeler. Il semble être au-dessus de nous. Léa descend un peu plus bas et je reste plus haut à l’appeler. Léa m’appelle car elle a rencontré des randonneurs. Je la rejoins. Le couple de marcheur vient d’apercevoir un animal blanc et noir, « là-haut, au-dessus de la falaise ». « Là-bas ?! » dis-je tellement cela me parait inaccessible et loin d’où nous sommes. Effectivement nous voyons de nouveau Triton courir comme un malade !

Nous décidons de continuer le chemin qui descend et va en sa direction tout en l’appelant afin qu’il redescende. Désormais Triton semble nous chercher et gémit. Nous l’appelons mais il ne semble pas aller dans la bonne direction. Nous avons un nouveau contact visuel : « punaise il est sacrément haut ! ». Nous descendons au village, posons les vélos et je pars sur un sentier de randonnée en sa direction tout en l’appelant. Mais rapidement le chemin s’éloigne de notre dernier contact visuel avec Triton. Je l’entends gémir. Le son semble venir de l’opposé. Léa m’appelle sur le portable et me dit qu’il n’est pas très loin d’où elle est. Pourtant je l’entends à un tout autre endroit, probablement à cause de l’écho dans ces gorges profondes. Je retrouve Léa : effectivement Triton gémit juste au-dessus de nous, peut-être à moins de 100 m à vol d’oiseau. Mais nous ne le voyons pas.

Léa décide de partir à sa recherche en empruntant le même chemin pédestre puis en essayant de le quitter pour aller en sa direction. Les minutes défilent, Triton geint toujours mais ne semble pas bouger d’un poil. Est-il tombé dans un trou inextricable ? Est-il blessé ? Devant le manque de solutions, je me dis que nous allons devoir demander de l’aide… Je décide de reculer dans le village pour avoir plus de visibilité sur la paroi. Je vois Triton ! Il est tranquille, en bonne santé, sur un surplomb rocheux tel Simba dans le Roi Lion. Sauf qu’il ne bouge plus et ne semble pas en mesure de venir jusqu’à nous. Léa redescend. Je repère la végétation au-dessus de Triton afin de tenter une voie d’approche par le haut.


Je reprends le chemin montant que je quitte rapidement pour revenir en direction de Triton. Mon cœur bat à cent à l’heure. Je mets mon pantalon dans les chaussettes pour éviter d’éventuelles morsures de serpents et tiques. Me voilà dans des hautes herbes, à escalader des petits murets rocheux alternant avec des terrasses végétalisées moins abruptes. Je suis quelques sentes d’animaux. Mes repères depuis le bas de la paroi sont trouvés et j’avance bien vers l’objectif, guidé par les hurlements de Triton. Je devrais désormais être à une vingtaine de mètres de Triton. Mais il ne répond plus à mes appels. Les minutes passent. « Ce n’est pas possible bordel » me dis-je dans la tête. Je descends plus proche de la falaise. Je demande à Léa restée en bas si je suis bien au bon endroit. Elle me dit oui, elle me voit d’ailleurs. Par contre elle ne voit plus Triton.

Je cherche encore et je me rapproche de plus en plus du bord tout en appelant Triton : aucune réponse. Finalement je le vois ! A quelques mètres de moi. Il agite la queue. Je m’approche de lui. Il est sur une surface d’un mètre carré avec au-dessus de lui une marche rocheuse d’un petit mètre qu’il a sauté mais qu’il ne peut remonter. En m’allongeant sur le sol, je ne peux l’attraper avec mes mains. Je m’assois en bord de marche et lui tends mes pieds pour lui faire un escalier. Mais il ne comprend pas la manœuvre.

Je pourrais tout simplement descendre sur son petit espace et le faire remonter. Mais la plateforme est-elle stable, sécurisée ? Pas sûr. Je vais chercher une branche que je mets en travers contre la roche afin de faire une rampe. Triton ne comprend pas l’idée. Je pars chercher la même chose mais en plus gros. Je trouve un tronc d’un arbuste mort. Il est bien sec et cassant. Je mets quelques minutes à l’arracher entièrement de ses racines en faisant des tours circulaires. Ça y est, j’ai un tronc de 2 mètres de long et aussi large que Triton ! Je le mets en place. Triton ne comprend pas. Il veut monter tout droit ! Il monte finalement sur le bout de bois, peu rassuré, mais guidé par ma main que je pose dessus (si seulement j’avais une croute de fromage, il serait monté direct !). Le voilà à mes pieds ! ouf !

Je suis trempé de sueur. Il faut désormais faire demi-tour et retrouver le sentier. J’enchaine de nouveau quelques marches rocheuses. Le chemin retour me parait vraiment long. J’ai peur de ne pas être sur le même itinéraire… J’accède finalement au sentier de nouveau au même endroit où je l’avais quitté ! Avec l’adrénaline à l’aller, mon parcours m’avait paru beaucoup plus court ! Je retrouve Léa vers 12 h, qui est à la fois heureuse de retrouver Triton et excédée par cet épisode de stress de plus de 2 h !

Nous reprenons les vélos, Triton est mis dans la caisse…Et il n’est pas prêt d’en sortir aujourd'hui ! 

Triton... On t'aime quand même !